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CLASSIC NEWS (FR) September 2015 

Pas d’introduction fervente préparant l’auditeur dans les affres expressives entre vanité et vertu mais immédiatement un duo (entre deux conseillers impériaux de la Cour d’Eudoxie, soit comme la conversation et les commentaires de personnages secondaires) qui plonge dans l’acuité d’une action sacrée aussi ciselée que son oratorio déjà édité et mieux connu : San Giovanni Battista, véritable révélation qui alors confirmait l’autorité et la séduction d’un compositeur adulé en son temps, protégé par les grands dont la Reine Christine de Suède… Stradella révélé : voilà une gravure opportune qui vient accréditer l’originalité d’un tempérament qui sait sculpter la matière vocale avec une rare pertinence expressive car de toute évidence ici c’est essentiellement la langue des récitatifs qui porte la tension et la cohérence poétique comme la valeur méditative et spirituelle de l’oeuvre.


L’art du récitatif
L’oratorio tend non à l’action et aux coups de théâtre comme à l’opéra, mais à la réflexion, voire la méditation sur les thèmes sacrés, et aussi sur les questions théologiques : le récitatif y est particulièrement ciselé et expressif pour articuler et projeter, colorer et nuancer les riches thématiques du sujet sacré. L’air plus lyrique et vocal met en avant un sentiment pour séduire l’assemblée. Avant sa trentaine, Stradella oeuvre à Rome (dès 1667) à l’Archiconfraternité du très saint crucifix (Archiconfraternità del Santissimo Crocifisso de Rome) de Rome que l’auteur avait rejoint en 1653. Le compositeur si finement dramatique, est apprécié de ses patrons, tous riches patriciens romains : Chigi, Pamphili, Aldobrandini, Altieri, Christine de Suède donc, récente convertie à la foi catholique, laquelle écrit le livret de sa sérénade, Il Damone. En totalité, Stradella compose 6 oratorios : San Giovanni Battista (1675), La Susanna (1681), Ester liberatrice, San Giovanni Crisostomo, San’Editta, vergine e monaca, enfin Santa Pelagia. Chaque partition relevant de la ferveur particulière du mécène commanditaire, d’où le choix de sainte martyre plutôt peu connue aujourd’hui….
L’oratorio San Giovanni Crisostomo est probablement lié au pontificat direct d’Innocent XI élu en 1676 (ex cardinal Benedetto Odescalchi) qui oeuvra particulièrement à affirmer l’autorité de l’Église face aux menaces musulmanes d’invasion. Giovanni Crisostomo, est évêque de Constantinople en 398 ap JC, chef de l’église orientale sous la pontificat d’Innocent I. C’est l’impératrice Eudoxie qui le déposa en 403 l’obligeant à l’exil en Arménie. Le livret d’un auteur inconnu souligne le conflit entre Crisostomo, apôtre du dénuement et de la vanité du pouvoir, et l’Impératrice Eudoxia, narcissique et vaniteuse, aidée de Théophile, évêque d’Alexandre et grand rival de Giovanni. Conflit entre “Bouche d’or” (car Giovanni Crisostomo était un orateur hors pair) et celle qui voulait se faire édifier une sculpture à son image pour être adorer telle une divinité terrestre, comme Impératrice de Byzance.
Dans la seconde partie, l’envoyé de Rome – donc du Pape, soutient Crisostomo dans sa lutte contre l’arrogance des grands. Puis quand Giovanni exhorte les puissants à l’humilité, la réponse est sans appel de la part de l’Impératrice : combat et détermination politique. Giovanni sera exilé.

Une écriture dramatique et contrastée proche du texte. La diversité des formes vocales (duos, trios pour les conseillers impériaux, associant aussi les protagonistes : Giovanni/l’envoyé romain, Théophile/idem, etc… ), la vitalité contrastées des airs (finalement très courts mais d’autant plus expressifs et intenses, la richesse des caractères de chaque séquence, cette maîtrise emblématique et exceptionnelle du récitatif stradellien, défendent ici une partition somptueuse qui mérite par sa force dramatique et sa grande énergie expressive, la présente exhumation. Dans son unique air, Crisostomo disparaît de la scène au II, laissant désormais l’envoyé de Rome et la suite de Théophile développer l’enseignement allégorique de l’oratorio. Comme toujours l’apothéose des élus et des justes n’a pas lieu sur cette terre. Et la grandeur morale n’est révélée qu’après leur mort ou leur destitution.

 

Les palmes de la caractérisation vont à la basse Matteo Bellotto dans le rôle-titre ; ampleur, souffle, profondeur et justesse stylistique, avec une articulation limpide et claire. Sa partenaire dans le rôle d’Eudosia, -Arianna Venditelli-, aux aigus durs et parfois stridents voire déchirés, si elle ne manque d’abattage et de flexibilité, manque surtout de finesse et de nuances, de saine mesure dans son approche globale : moins d’agressivité et d’acidité auraient gagner à incarner une Eudosia à l’oposé de ce profil systématiquement hystérique (une vraie harpie déchaînée : on a bien compris la diabolisation exemplaire de l’arrogance politique mais à surjouer ainsi, la charge devient caricaturale et parfois inaudible). Fin, racé, souple lui aussi le Teofile du ténor Luca Cervonis’affirme comme l’excellent contre-ténor Filippo Mineccia dans le rôle vertueux et sage de l’envoyé de Rome.

Continuo chambriste mais expressif et nuancé, récitatifs ciselés (un vrai travail de caractérisation et de clarification linguistique a été mené : il porte ses fruits de toute évidence), prise de son valorisant les voix tout en conservant une bonne balance avec les instruments font la valeur de cette recréation qui atteste – en doutions-nous réellement ?-, de l’exceptionnelle intelligence dramatique d’un compositeur savant et sensuel, l’inestimable Stradella. Une initiative méritoire du festival Stradella de Nepi (Italie), ville natale du compositeur dans le cadre de son Stradella Project porté par Andrea De Carlo, directeur musical de Mare Nostrum. Malgré nos réserves sur le chant d’Eudosia, la réalisation suscite un CLIC de classiquenews pour le mois de septembre 2015.

 

 

Cd, compte rendu critique. Alessandro Stradella (1644-82) : San Giovanni Crisostomo, Rome vers 1670. Ensemble Mare Nostrum. Andrea de Carlo, direction. 1 cd Aracana 3760195733899. Enregistrement en septembre 2014.


 

 
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